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Il n’est plus recommandé de retarder l’introduction des allergènes alimentaires majeurs que l’enfant soit à risque d’allergie ou non (1). Elle est préconisée dès que la diversification alimentaire a commencé, entre 4 et 6 mois, période appelée fenêtre de tolérance pour les aliments autres que le lait.
Le très jeune âge semble une période à risque de développer une allergie sévère (10 % des cas déclarés concernent les enfants de moins de 3 ans). La prévalence globale de l’allergie alimentaire évolue avec l’âge. Il en est de même pour chaque type d’allergie alimentaire : les allergies à l’œuf ou au lait affectent surtout des enfants en bas âge, alors que l’allergie aux fruits touche plus les adultes.
Peu d’études sont disponibles en France pour connaître la prévalence des allergies alimentaires et leur évolution chez les jeunes enfants. Parmi celles-ci, l’étude longitudinale française depuis l’enfance (Elfe) incluant plus de 18 000 enfants à la naissance en 2011, rapporte qu’à l’âge de 2 ans, 4,0 % d’enfants doivent éviter des aliments sur conseil médical pour cause d’allergie alimentaire. Dans la troisième étude individuelle nationale des consommations alimentaires (Inca3) menée par l’Anses en 2014 et 2015 auprès de 2084 enfants de 0 à 17 ans, des intolérances ou allergies alimentaires ont été déclarées pour 4,2 % d’entre eux, sans différence significative selon l’âge ou le sexe de l’enfant. Plus de la moitié de ces intolérances ou allergies alimentaires avait été confirmée par un médecin (1).
Les recommandations relatives à la prévention des allergies alimentaires ont considérablement évolué au cours de cette dernière décennie. En 2014, l’Académie européenne d’allergie et d’immunologie clinique (EAACI) recommandait, en s’appuyant sur certaines données et les besoins nutritionnels de l’enfant, l’introduction des aliments solides entre 4 et 6 mois, et une fois la diversification commencée, de ne pas retarder l’exposition aux allergènes alimentaires majeurs tels que le lait de vache, l’œuf de poule et l’arachide, ceci que l’enfant soit à risque d’allergie ou non (1). En 2015, la société française de pédiatrie (SFP), à la suite d’une analyse de la chronologie des études et recommandations depuis les années 1970, rejoignait cet avis et le généralisait pour les aliments les plus allergisants (arachide, fruits à coque, œuf, lait, blé, soja, poisson, etc.). En 2016, le JAMA publiait une revue systématique et méta-analyse des essais cliniques randomisés portant sur l’âge d’introduction des œufs et de l’arachide (2). Celle-ci incluait entre autres l’étude « Learning Early about Peanut Allergy » (LEAP) dont les résultats suggéraient qu’une introduction précoce d’arachides diminuait significativement la fréquence du développement de l'allergie aux arachides chez des enfants à haut risque pour cette allergie et modulait les réponses immunitaires à ces aliments (3).
Objectif : Evaluer les stratégies de consommation et d'évitement des arachides afin de déterminer quelle stratégie était la plus efficace pour prévenir le développement de l'allergie aux arachides chez les nourrissons à haut risque d'allergie.
Méthode : Ont été assignés au hasard 640 nourrissons souffrant d'eczéma sévère, d'allergie aux œufs ou les deux pour qu'ils consomment ou évitent les arachides jusqu'à l'âge de 5 ans. Les participants, âgés d’au moins 4 mois mais de moins de 11 mois au moment de la randomisation, ont été répartis dans deux cohortes sur la base de la sensibilité préexistante à l'extrait d'arachide (déterminée à l'aide d'un test cutané) : une cohorte composée de participants sans papule mesurable après le test et l'autre composée de participants avec une papule mesurant de 1 à 4 mm de diamètre. Le critère de jugement principal, évalué de manière indépendante dans chaque cohorte, portait sur la proportion de participants allergiques aux arachides à l'âge de 5 ans.
Résultats : Parmi les 530 nourrissons de la population en intention de traiter dont le test cutané initial était négatif, la prévalence de l'allergie aux arachides à 5 ans était de 13,7 % dans le groupe évitement et de 1,9 % dans le groupe consommation (p <0,001). Parmi les 98 participants de la population en intention de traiter dont le test cutané était initialement positif, la prévalence de l'allergie aux arachides était de 35,3 % dans le groupe d'évitement et de 10,6 % dans le groupe de consommation (p = 0,004).
Conclusions : L'introduction précoce d’arachides a significativement diminué la fréquence du développement de l'allergie aux arachides chez les enfants à haut risque pour cette allergie et a modulé les réponses immunitaires à ces aliments.
En 2017, la Société Européenne de Gastroentérologie, Hépatologie et Nutrition pédiatriques (ESPGHAN), sur la base de la méta-analyse publiée dans le JAMA notamment, considérait qu’il n’y avait pas de preuve que l’éviction prolongée des aliments allergènes au-delà des 4 mois révolus de l’enfant réduise son risque de développer une allergie alimentaire, que cet enfant présente ou non des facteurs de risque. L’ESPGHAN adoptait également la recommandation, commune à dix associations internationales spécialisées sur l’allergie pédiatrique, d’introduire de l’arachide entre 4 et 11 mois après évaluation par un spécialiste pour les enfants à haut risque d’allergie à l’arachide.
En 2018, après analyse de ces avis et de plusieurs études, l’Anses concluait que l’introduction des allergènes majeurs tels que le lait de vache, l’œuf de poule et l’arachide ne devait pas être retardée une fois la diversification alimentaire commencée (entre 4 et 6 mois) et ce, que l’enfant soit à risque d’allergie alimentaire ou non (1).
En 2020, le Haut Conseil de Santé publique (HCSP) reprenait cette recommandation dans son avis sur la réactualisation des repères alimentaires des enfants et adolescents (4). Santé publique France diffusera l’année suivante, auprès des professionnels de santé et du grand public, les nouvelles recommandations sur la diversification alimentaire en incluant celle de l’introduction précoce des allergènes majeurs (5).
Yakaboski et coll. concluaient en 2021 qu’il était de plus en plus évident que l'introduction précoce d'aliments allergènes peut réduire le risque de développer une allergie alimentaire à médiation IgE. Bien que limité par le petit nombre de cas d'allergies, les résultats de leur étude suggèrent que l'introduction précoce d'œufs et d'arachides (avant l’âge d’un an) est associée à un risque réduit de développer une allergie alimentaire et soutiennent les changements récents des recommandations (6).
La même année, Marouan et coll. publiaient une revue dans laquelle ils confirmaient que l'introduction précoce de l'arachide dans les études LEAP et EAT (Enquiring About Tolerance) et l'introduction de l'œuf cuit dans les études PETIT (Two-step egg introduction for prevention of egg allergy in high-risk infants with eczema) et EAT étaient sans danger et réduisaient considérablement l'allergie aux arachides et œufs dans le cadre de tests de provocation orale (7).
En 2022, Koplin et coll. considèrent que l'étude LEAP a représenté une avancée significative dans la prévention des allergies alimentaires et que de nouvelles recherches au cours des cinq dernières années ont fourni des informations sur la meilleure façon de mettre en œuvre cette intervention à l’échelle de la population générale. Les directives de prévention des allergies du monde entier recommandent désormais l'introduction précoce des arachides dans l'alimentation des nourrissons afin de réduire le risque de développement d'allergies à cet aliment. Des études relatives à l'impact de ces changements de pratiques d'alimentation des nourrissons sur la prévalence de l'allergie aux arachides sont en cours (8).
Enfin, des chercheurs de l’INRAE ont utilisé les données de la cohorte Elfe pour explorer le lien entre les pratiques d’alimentation des nourrissons (âge d’introduction des aliments, diversité alimentaire, qualité de l’alimentation, introduction des principaux allergènes) et le risque de développer des maladies allergiques telles que les allergies alimentaires, l’eczéma, l’asthme et la rhinoconjonctivite. Ces travaux confirment l’importance de ne pas retarder l’introduction des allergènes alimentaires majeurs pour prévenir la survenue des maladies allergiques dans l’enfance. Pour en savoir plus : Risque d’allergies : l’importance de ne pas diversifier trop tard l’alimentation des nourrissons – elfe-france.fr
Malgré les controverses, l’EAACI et de l’Académie américaine de l’allergie, de l’asthme et de l’immunologie (AAAI) concluent que l’allaitement a peu ou pas de conséquences sur la prévention des allergies alimentaires. Ces sociétés savantes estiment également que l’éviction par la mère des allergènes n’a pas d’effet significatif sur le risque allergique de l’enfant allaité. Dans ce contexte, elles recommandent l’allaitement maternel, chez tous les enfants, même chez ceux suspectés d’être à risque d’allergie (1).
En 2018, l’Anses s’est notamment appuyée sur ces éléments pour arriver à la conclusion « qu’aucune éviction alimentaire n’est nécessaire pour les femmes enceintes et en cas d’allaitement maternel, y compris en cas de terrain à risque d’allergie, c’est-à-dire dans le cas où un des parents du premier degré présente une allergie » (1).
Sources :
Date de publication le
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